Après un petit déjeuner humide, brumeux et chocolaté, j’embarque pour la traversée du Nærøyfjord, et par la même occasion, pour une journée interminable.

Le bateau est presque vide, une famille de trois Allemands et deux autres touristes seulement. La température extérieure n’est pas très élevée mais il y a surtout une humidité ambiante saisissante qui offre un spectacle lugubre et envoûtant. Les langues de brumes et nuages épars viennent s’accrocher aux pans des montagnes qui plongent dans les eaux sombres du Fjord. Le ciel est dense, chargé de nuages. Les premiers habitants de ces berges n’avaient aucune route, le Fjord était l’unique voie praticable, en cas de tempête ils étaient seuls au monde accrochés au cou de la montagne. Certains cultivaient le tabac, d’autres élevaient des chèvres ou pêchaient… Vivre isolé, coupé du reste du monde dans un décor de nature brute aussi gigantesque, ça laisse pour le moins rêveur. Le paysage escarpé regorge de légendes racontées au coin du feu par un vieux papy ridé et de créatures chimériques dessinées à l’encre de Chine. Quand un marsouin pointe le bout de son dos gris sombre hors de l’eau, c’est tout cet univers là qui vient percuter le réel pour lui donner un relief un peu différent. J’oublie le froid humide qui semble vouloir à tout prix s’immiscer dans chaque interstice disponible. Mais au bout d’un moment la raison me rattrape et je me rappelle que je ne sais pas où je dors ce soir et qu’il serait bon que je ne chope pas le rhume de l’année paumée en Norvège fin décembre avec ma tente sur le dos.

Je continue de profiter du spectacle derrière les vitres, à partager gâteaux et « alerte Marsouins » avec la famille d’Allemands. A ce moment, nous sortons du Nærøyfjord dont les eaux viennent se mêler à celles de l’Aurlandsfjord dans un vaste décor gris-bleu. J’étudie un peu ma carte et les quelques conseils flous de l’office du tourisme en espérant que Kaupanger ça soit chouette et accueillant. Kaupanger en vue, je me dis que c’est peut être chouette mais somme toute peu accueillant. Un des membres de l’équipage m’annonce que les hébergements (comme à peu près tout) sont fermés à Kaupanger  à cette saison et que j’aurai plus de chance à Sogndal. Mais il faut prendre le bus et le dit arrêt de bus se trouve plus haut sur la colline. C’est comme ça qu’un bon plan pour éviter la grande ville de Bergen se transforme en un concept moisi qui prend l’eau, le tout d’après les conseils d’une guide touristique souriante et convaincue. Je pars donc à l’assaut de la colline sous la pluie et au bord de la route sur laquelle les voitures, camions et autres Quads passent à cent à l’heure, charmant. Je finis par trouver un arrêt de bus bien Norvégien ne comportant aucun panneau, à quoi bon? J’attends… longtemps. Au bout d’une heure et quart je me dis que je suis Française et qu’en France on fait du Stop. Voilà. Je commence donc ma tentative désespérée le pouce en l’air en souhaitant que ça ne soit pas une injure en Norvégien. Au bout d’une dizaine de voitures, il faut se rendre à l’évidence, j’ai plus l’air d’effrayer les gens que d’attirer leur sympathie. J’ai toujours pas trouvé de réchaud pour me faire à manger, les campings sont fermés, j’ai mangé 4 pépitos à midi, il pleut… Un pick-up rouge surgit sur la route. Dans les films d’horreur les psychopathes ont toujours des pick-up, j’ai faim et du coup des idées débiles me galopent dans le crâne. Finalement je lève le pouce en pensant à mon épitaphe. Le type s’arrête, la cinquantaine, barbu avec des lunettes et un pull tricoté.  Il m’explique que l’arrêt de bus est à 2 Kilomètres en haut de la colline, je grimpe donc dans le pick-up rouge.

Mon conducteur s’avère être vraiment sympathique, souriant et clou du spectacle il connait Brest, ma ville d’origine, grâce à la fête de Brest 2012 où il s’est rendu en bateau avec d’autres habitants de Kaupanger pour un concours de légumes (à ce que j’ai compris)…improbable. Du coup, son visage s’illumine en me parlant de Brest et le trajet devient trop court. Garé devant l’arrêt de bus il termine son récit en me disant que si je suis toujours là après ses courses, il me conduira directement à Sogndal.

Finalement le bus arrive, en montant dans celui-ci je vois mon petit monsieur au pick-up rouge me faire un grand salut souriant en reprenant sa route. Tout va mieux, j’ai faim mais je m’en fou, un pépito fera l’affaire. De toute façon, le trajet jusque Sogndal ne doit durer qu’un quart d’heure environ, je serai bientôt prête à planter ma tente. L’optimisme est parfois trompeur…

 

 

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