D’Ailefroide au Glacier Blanc

Vers 8h00 du matin, direction le refuge du Glacier Blanc depuis Ailefroide (environ 9Km, de 1507m à 2466m). Personne sur le sentier, pas un bruit, un brin de fraîcheur et le flottement du temps suspendu. Une fois sortie des arbres, le soleil assomme le paysage scellé sous un bleu implacable, laissant présager que la journée sera chaude.

Soudain, je m’arrête. Une biche dévale du chemin pour prendre de la distance avec l’intrus que je suis. À quelques mètres en contrebas, elle m’observe, immobile. Moi aussi. Un couple de grimpeurs arrive derrière moi. Je leur fais rapidement signe de se taire et leur montre la silhouette qui s’anime à quelques pas de nous. Ils s’arrêtent un instant et repartent sans bruit après m’avoir remercié d’un large sourire. Je m’installe et j’attends. Visiblement aussi curieuse l’une que l’autre, aucune de nous ne détalle. Minute après minute, la biche se rapproche. Elle grimpe vers le chemin en plein dans ma direction et arrive à mon niveau. Elle se fige, on se fixe. « Les yeux de biche » prennent finalement un sens beaucoup plus séduisant, celui de la curiosité mêlée à l’impertinence. Elle lève fièrement sa tête, me renifle et passe à un peu moins d’un mètre cinquante, le plus calmement du monde. Nous repartons dans nos directions opposées. Je pense à prendre une photo et reprends la route au seul son du torrent.

Quelques éboulements rocheux plus tard, le paysage change et la végétation diminue. Il n’y a personne sur ce sentier et l’arrivée vers le Pré de Mme Carle me fait l’effet d’un retour à la civilisation version village vacances. L’avantage c’est qu’on y trouve à manger, ça tombe bien j’ai faim. Une omelette nature avalée, je laisse mes voisins de tables se remplir de fromage et de rosé, avant d’aller, eux-aussi, en direction du glacier blanc… C’est une stratégie.

Sur le début du sentier il y a déjà pas mal de monde. Surplombant de quelques mètres les panneaux de direction, j’observe mes voisins de midi faire demi-tour face au temps de marche indiqué. Rosé 1 – Glacier Blanc 0. Je ris.

Le sentier est plutôt chouette à faire malgré la foule des grands jours. Manque de bol, la batterie de la Gopro se décharge dès le début du parcours -_- (d’où les photos un peu moisies). En suivant les premiers lacets, j’entends un accent qui me rappelle quelqu’un. Le couple qui m’a déposé à Briançon est redescendu du dôme de neige. Les traits un peu tirés, mais visiblement contents (après un départ du refuge des Écrins à 3h00 du matin), ils s’arrêtent quelques minutes pour me raconter leur parcours avant de repartir vers le confort et le repos qui les attendent au gîte.

Le passage du torrent et le lac Tuckett offrent de beaux panoramas qui méritent le détour. Le mieux étant sans doute de bivouaquer près du Lac Tuckett pour profiter d’un tête à tête avec le paysage. Au refuge il y a de l’eau au robinet, ce qui est assez appréciable sous cette chaleur. Le Glacier Blanc semble alors tout près et en même temps, difficile d’imaginer qu’il descendait jusqu’au Pré de Mme Carle… Si je n’étais pas venue à pied depuis Ailefroide, j’aurais sans doute poussé plus loin, mais la raison l’emporte, alors je me contente de la terrasse et d’un Perrier frais.

Les abords du refuge se vident et le jour commence à décliner, il est l’heure de redescendre. Un couple, avec une gamine haute comme trois pommes, me laisse passer entre deux échelles. La scène est assez cocasse et les parents visiblement bien plus inquiets que la petite qui prend bien le soin d’expliquer, à chaque pas, où elle pose ses pieds. Sur la fin du sentier, la faible luminosité appelle le sommeil et le lecteur MP3 s’avère utile pour garder les idées claires. L’avantage non négligeable, c’est qu’il n’y a plus un rat! On a rien sans rien.  Le pré de Mme Carle, lui aussi est devenu calme. Par contre, si je veux descendre en Stop jusqu’à Ailefroide, la mission s’annonce compromise. Il reste le couple qui descendait avec leur fillette et peut-être 4 ou 5 personnes par-ci par là.

Au bord de la route je croise quand même trois gars qui scrutent les montagnes à côté de leur fourgon noir. Après les parkings, je tente un stop, deux voitures étrangères dont une sans banquette arrière. Avec mes 14km dans les pattes (-1045m et +1414m) ça sent quand même pas mal la journée à rallonge. Finalement, le fourgon noir fait son apparition. Le pouce en l’air, je me dis que ça pourrait faire le début d’un film d’horreur américain bien kitsch à regarder un soir de grippe ^^ Au final, les 3 acteurs principaux seraient assez peu crédibles en Freddy Krueger 🙂 Plus de place disponible à l’avant, mais il y en a dans le fourgon « Par contre y a pas de fenêtres! ». J’embarque donc à l’arrière du fourgon sans fenêtres avec un des copilotes et sa lampe frontale visée sur la tête. Probablement la session de stop la plus comique du voyage. Quand je pense à tous les conseils qu’on entend pour voyager seule quand on est une femme, ça doit sûrement être moins foireux, mais sacrément plus chiant.

Une fois au camping, on découvre finalement que nous sommes voisins. J’embarque donc les quelques victuailles partageable qu’il me reste, autrement dit plutôt des pistaches que du lait en poudre et je retrouve mes nouveaux voisins pour le repas du soir. La soirée sera à l’image du trajet en fourgon sans fenêtre, pas très bien éclairée, mais drôle !

« Gone are the dark clouds… »

De La Grave à Ailefroide

La veille, en rentrant du lac du Goléon, un pique-nique improvisé aux lueurs des bougies avec ma voisine de camping, aura rendu la dernière soirée à La Grave aussi riche et inattendue que le reste du voyage. Les histoires d’orages et de bivouacs chaotiques se teintent d’aventures en ombres chinoises.

Le lendemain, comme annoncé depuis plusieurs jours, il pleut.

Je remballe ma tente humide et passe dire au revoir à ceux que j’ai croisé durant ces derniers jours, avant de tenter le stop sous la pluie direction Ailefroide. En passant saluer la gérante du camping, elle me propose de me faire déposer par sa belle-sœur, venue lui rendre visite ce matin là, au meilleur spot pour tendre le pouce. Quand on vous dit que les gens de la montagne sont sympas.

A peine déposée, un fourgon s’arrête et me conduit à Villar d’Arêne. Puis les voitures immatriculées en Ile de France ou en Italie s’enchaînent à mesure que l’espoir s’amenuise et que la pluie s’infiltre sous la veste. Une voiture arrive de l’autre côté de la route et fait demi-tour sur le parking près de moi. Un couple souriant, à l’accent tout aussi souriant, s’arrête et ouvre les portières \o/

« Eh! Je vous ai vu au dernier moment et j’ai eu pitié de vous sous la pluie! Alors j’ai fait demi-tour, vous allez où? » ***Faith in humanity restored***

bip-bip!

Il y a des gens avec qui le courant passe tout de suite et sans concertations. Je fais la route avec eux en direction de Briançon quand ils m’apprennent qu’ils ont aussi rencontré un autre randonneur qui, comme moi, trimbalait sa maison sur son dos, avec plus de bornes au compteur. Il arrivait aussi du plateau d’Emparis et quittait La Grave en direction du col d’Arsine sur le GR. A vu de la description assez précise, je reconnais mon co-bivouaqueur du Lac Noir, ce qui a le don de bien faire rigoler mes hôtes et moi aussi. Entre souvenirs de colonies de vacances, randonnées en montagne, passage de col et marche sur glacier la route passe en un changement de vitesse.

De l’importance du moment présent.

Ils se rendent à Ailefroide le lendemain pour rejoindre le glacier blanc puis le dôme de neige. « Peut-être à demain alors! » me lancent-ils avant de repartir tout sourire dehors.

A la gare de Briançon, n’ayant aucunement l’intention de prendre un transport en commun, je me mets en quête d’un coin à stop, quand mon œil, voire même les deux, se posent sur un drapeau breton. Je commande un café et lance le sujet « Bretagne » sur le comptoir. Le barman visiblement ravi me raconte son parcours et son retour annoncé en Bretagne pour bientôt. On parle « Tas de Pois », « Pointe St Matthieu », « Crozon-Morgat » et je repars motivée avec un café, des histoires en plus et un emplacement à Stop, à la sortie de la ville.

Le stop « urbain » c’est un peu plus la mission.

1: ne pas se faire écraser, 2: tenter de ne pas trop effrayer les gens de la ville et touristes de passage… Oui parce que même moi, du haut de mon mètre soixante, je peux être impressionnante visiblement ^^. Mais ça, c’est une question de contexte. Après vingt bonnes minutes à jouer au poireau souriant et détrempé, une voiture s’arrête et la route reprend avec son lot de rêves de voyages, échangés entre deux lacets de montagne. Le couple, qui passe ses vacances à Pelvoux, fait même le détour pour me déposer à Ailefroide, devant le camping. « Fatiguée mais ravie », comme dirait l’autre, je plante ma tente sous la flotte. Il fait un froid humide et je n’ai pas mangé depuis plus de 8 heures, il me faut un café pour faire un trou dans l’estomac. Je toque à la porte indiquée par ceux qui m’ont déposé. Un couple du coin tient un petit bar où il fait bon se perdre. On se croirait dans un Miyazaki, chez le vieux Kamaji qui respire la bienveillance un peu bourrue et pince sans rire, la meilleure.

Le café noir creusant à présent mon estomac vide, je tente de trouver du réseau pour donner des nouvelles à ma mère, qui elle, n’a pas besoin de jeûner pendant plus de 8 heures et d’avaler un expresso pour se faire de la bile à mon sujet.

Aucun réseau, nulle part. Alors moi j’aime bien hein! Mais bon… Je trouve sur ma route un adolescent du coin qui me donne la recette miracle, couper la clé 3G. Bim! 4 barres de réseau! Je reste papoter avec mon sauveur du jour qui me raconte le passé du village et ses anecdotes bien planquées dans les tiroirs. Dans les années 70 une tempête de neige a recouvert tout le village et enseveli les chalets, bloquant les accès des cheminées. Le fameux M. Kamaji a fait partie de l’expédition de sauvetage qui a mis plusieurs jours pour rejoindre Ailefroide à ski, pour sauver ses habitants qui, entre temps, avaient construit des galeries sous la neige pour se rejoindre et s’entraider. Je savais bien qu’ils regorgeaient d’histoires tous les deux…

L’appel du ventre finit par prendre le dessus en début de soirée. Étant prise d’une flemme épique à la simple idée de cuisiner sous mon abside, je rejoins un chalet-restaurant pour manger quelque chose de consistant. Du genre autre que le café. A la table d’à côté, un petit monsieur, d’un âge certain mais indéterminé, bouquine tranquillement. Je décide donc de sauter à pieds joints dans sa tranquillité et la discussion s’engage.

Impossible de retranscrire sur écran le vécu d’une rencontre. Frustrant.

Au fil des sujets les heures se suivent et ne se ressemblent pas. Se connaître peut prendre toute une vie, alors se rencontrer c’est déjà pas mal non? En tout cas, cette rencontre là, a un parfum particulier. Imaginant peut-être les discussions que j’aurais pu avoir une fois adulte avec mes grands-pères. Après tout, qui sait ce que l’on part chercher quand on voyage? Et à quoi bon en faire des certitudes?

« J’ai l’impression d’avoir rajeuni! Merci! » me lance-t-il avant de s’en aller vers ses pénates. Et moi donc 🙂

Sur la table d’à côté, le regard un peu perdu entre la fatigue et les pages de son livre, je rencontre un grimpeur venu d’Angleterre. De quoi faire travailler mon anglais un peu rouillé mais finalement pas si foireux, hormis dans la compréhension de son prénom. Scène qui aura eu le mérite d’être très drôle en plus d’être (mais alors juste un peu) ridicule ^^. Je l’appellerai donc par son diminutif, faute de neurones encore éveillés. On repart tous les deux en direction du camping, où il fait aussi noir que dans un camping sans lumière, avec des arbres, dans les Alpes, pendant une nuit sans étoile. J’ai heureusement pensé à embarquer la frontale, qui s’avère utile sur les derniers mètres qui me séparent de ma tente posée le jour même « à la va vite ».

Le lendemain matin, la pluie a laissé place à un ciel bleu vif. Je pars, en mode Jimmy Cliff, direction Bosse de Clapouse, comme conseillé par le M. Kamaji local. Bosse de Clapouse qui s’appelait à la base Bosse de Clafouse, mais un type a dû un jour éternuer sur son Rotring en rédigeant la carte du coin, et le « f » s’est changé en « p »… Moi qui angoisse pour les fautes de frappe dans mes mails, me voilà rassurée.

La randonnée est facile et le sentier sans difficultés. J’arrive en haut assez vite et profite de la chute d’eau pour patauger un peu. Ce nid de verdure, particulièrement bucolique, offre un panorama grandiose sur les sommets alentours, comme autant de possibilités. Je pousse un peu plus haut en suivant des Cairns, juste pour voir. N’ayant pas pris de carte je n’irai pas loin. Un randonneur qui redescend du pierrier se fige à quelques mètres de moi. Devant nous, un chamois passe avec aisance les éboulements rocheux et grimpe en direction d’un compère haut perché qui profite d’un coin d’ombre. Il jette quelques regards autour de lui, sur ces drôles de bêtes mal-agiles dans les cailloux, avant de s’éloigner. J’apprécie la quiétude de l’instant, puis redescends doucement direction Ailefroide, avec des pauses stratégiques « framboises sauvages ».

Le soir, mon programme du lendemain se dessine sur la table du chalet, autour d’une bière et sous les conseils avisé de mon guide de la semaine (un certain Georges 🙂 ) qui s’amuse de mes récits. Direction le glacier blanc depuis Ailefroide, pour pouvoir le découvrir pas à pas.

Sans bitume et sans bruit.