Après une nuit calme, je décolle direction le village situé au-dessus de Réallon (Les Gourniers). Plusieurs sentiers de randonnée partent de cette vallée dans toutes les directions, il y en a pour tous les goûts, amoureux du vertige ou non. Après avoir fait le tour du hameau, ce qui est relativement vite fait, je rejoins la marmite de géant qui se situe au départ du sentier de randonnée de la source de Chargès. Il est 9h00 et la matinée nous fait encore grâce d’un peu de fraîcheur. De l’autre côté du torrent, des sentiers en sous-bois partent en direction du ravin d’Entraigues et sans doute vers la roche Méane (2651m). Après avoir vadrouillé dans cette direction, je reprends le chemin de la cabane du Pré d’Antoni. À quelques pas de la Chapelle St-marcellin, je m’arrête sous le cri de l’aigle qui survole le sentier et s’en va faire plier en douceur la cime d’un arbre de l’autre côté du torrent. Je reste sur place, jumelles à la main pour profiter de la vue. Les Rennais, avec qui j’ai mangé la veille, me rejoignent le regard aimanté dans la même direction. Je les laisse profiter de l’ombre discrète offerte par les quelques arbres et reprends la route. Par moments, je me fige. Une forme sombre balaye mes pas et je n’ai plus qu’à lever la tête pour capturer l’instant.

Aucun bruit hormis la brise du vent, le vol de l’aigle et la fougue du torrent.

Cabane du Pré d’Antoni, 13h. Le luxe de prendre le temps, de perdre du temps. Il me reste un bout de pain-fromage datant de la veille, gardé bien au chaud sous le cagnard… De toute façon le fromage c’est plus ou moins fait à base de moisi alors ça fera l’affaire.

En dessous de la cabane, le torrent comme essoufflé par la chaleur de l’été, se calme et continu sa course en escalier. Une source d’eau aussi claire que fraîche sort de la roche. Tout autour, les grenouilles nagent et squattent chaque coin d’ombre. Je me dis que ça aurait fait un super spot de bivouac au calme, sans chercher à aller bien loin… Tant pis. Les Rennais font demi-tour, je les salue et reprends la route vers la source de Chargès, les yeux rivés sur le Mourre-froid (2994m) au pouvoir hypnotique. Au-dessus de ma tête, les roches semblent ridées par le temps qui s’écoule, par le vent qui repousse et l’eau qui fracture. Le paysage alterne entre rage et douceur, comme indécis quant au sort qu’il réserve à celui qui s’y attarde.

Un kilomètre plus loin, le bleu du ciel laisse place au gris et le silence se fissure sous des grondements lointains. Je redescends vers mon abri et la civilisation.

Je laisse les aigles profiter seuls du panorama.

Sur le chemin du retour, les papillons s’activent. Des Argus bleu et des Soucis, un nom bizarre pour un papillon au jaune éclatant. À croire qu’ils ont tenté de me prévenir que si dans la nature, on trouve des soucis, la civilisation, elle, peut vous apporter les emmerdes.

Au camping (fermé depuis la veille), c’est la méga-teuf de village. Des vieux jouent à la pétanque, ce qui ne me dérange pas le moins du monde. Par contre, arrivée à ma tente, je tourne la tête et croise les regards d’une brochette de types en slip de bain se grattant les valseuses d’une main, un verre de pastis dans l’autre. Au même moment, un gros gars sur une grosse moto passe devant ma tente, en combo slip-tongs et moustache, avec lui aussi un pastis à la main.

Équation niveau bac -5: Une fille seule dans sa tente + des dizaines de gars carburant au pastis depuis plusieurs heures + nuit qui tombe = Combien de kilos d’emmerdes potentielles? Pour avoir déjà un peu vadrouillé, ma réponse serait la suivante: beaucoup trop.

Il est 18h30, j’ai la dalle et pas le temps de réfléchir ni de prendre une douche. Je remballe mes affaires en moins de 15 minutes. Devant moi, deux mamies ramassent leurs serviettes de bain, la clope au bec. Elles acceptent volontiers de me redescendre dans la vallée. La voiture démarre, le stress reste derrière. La conductrice est une vraie chauffarde mais leur duo est bien plus comique que la perspective de ma soirée au camping. La vie est faite de choix. Au gros type en slip & pastis, je préfère tendre les bras au ravin. Les deux mamies hautes en couleurs, vont même faire un détour de plusieurs kilomètres pour me déposer dans un camping au calme avec vue sur le lac de Serre-ponçon, au pied du pic de Morgon. Un immense merci et elles repartent vers leur village. Je pose ma tente sous la nuit qui tombe et le regard amusé d’une famille. Après leur avoir raconté mes péripéties, qui ont eu le mérite de les faire rire, ils me déposent sur la route qui mène au camping pour manger une pizza bien méritée. Peu convaincus par le premier endroit au look un peu roots, ils descendent direction Savines le Lac. Le resto roots en bord de route me convient parfaitement. La pizza 4 fromages engloutie, je passe la soirée en compagnie de deux blues man quinquas qui se marrent à la description du gros type en slip à moto et me payent une bière en me parlant rando et musique. Après 2 journées en une, j’ai dormi comme une enclume en or massif.

 

2 réflexions sur “Sous le vol de l’Aigle

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