Nouvelle route pour 2018

Cette année, 60e parallèles migre vers un nouveau site! http://60eparalleles.fr/

Après un petit bout de chemin dans les Pyrénées cet été, je prépare de nouveaux articles pour partager avec vous les bons (et mauvais ^^ ) plans pour partir à la découverte de la frontière France/Espagne sur la Haute Route des Pyrénées.

Mais d’ici là… Voici un petit aperçu de ce qui se prépare (Carnets D’Aventures n°50)!

 

Quelques pas de plus

Au lendemain de ma fuite de Réallon, descendue vers un camping plus proche du Pic de Morgon, je me pose une journée en tentant de pratiquer ce qu’on appelle communément le farniente. En début d’après-midi j’arrive à la conclusion qu’une journée entière de farniente c’est beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, trop long. Je nage un peu dans le lac de Serre-Ponçon et passe finalement l’après-midi à marcher dans les environs du village de Crots. Cette « journée flemme » se termine ensuite dans un restaurant du coin avec une équipe sympa, des bons plats, un verre de bon vin et un cadre agréable, bref! une bonne adresse si vous passez dans le coin ( « Chez Pierrot Fils » ).

Enfin, vient le jour du départ vers le Pic de Morgon. Dernière randonnée du voyage, je savoure ma chance une dernière fois.

Je décolle à 7h30, la journée promet d’être aussi longue que caniculaire. Après 5 Km j’atteins l’Abbaye de Boscodon où un jeune couple me prend en stop. Ils rejoignent aussi la fontaine de l’Ours pour faire la randonnée du Pic de Morgon version longue avec la route des crêtes. On sillonne  joyeusement les routes de montagne en vérifiant du coin de l’oeil les rares panneaux d’indications. Un écureuil traverse la route en nous jetant un regard outré. Arrivé à la fontaine de l’Ours, la conductrice m’avoue être un peu stressée à l’idée d’emprunter le sentier des crêtes car elle a le vertige… Je tente de détendre l’ambiance avec une ou deux vannes moisies, ce qui me vient assez spontanément, puis laisse mes chauffeurs du jour se préparer. Au départ du sentier, je regarde rapidement le panneau d’information et y trouve un peu plus qu’une carte. Agrafée sur un des montants, il y a une feuille A4 plastifiée avec pour titre « Avis aux randonneurs ». Une femme a disparu en Juin dernier sur le même chemin. Sous une photo, un court texte demande aux marcheurs de contacter la gendarmerie si une de ses affaires est aperçue. En essayant de ne pas penser aux nombreuses hypothèses glauques qui me traversent l’esprit, je prends l’affiche en photo puis entame le sentier.

Toute la première partie se fait en sous-bois pendant 1.5Km à travers la forêt Domaniale de Boscodon où pullulent les écureuils, contrairement aux randonneurs. Les vues sur le cirque de Bragousse et le pic de Charance valent vraiment la peine de choisir cet itinéraire moins emprunté que celui du grand clos (beaucoup plus court). A l’ombre des arbres, je profite de la vue sur le cirque de Bragousse, aussi vertigineux que minéral, quasi lunaire. On se croirait presque dans un décor de Star wars et l’imagination fait le reste.

Juste avant d’arriver au cirque de Morgon, il y a de bons spots de bivouac avec une vue imprenable sur les montagnes alentours.

Il est environs midi quand j’approche du cirque. La chaleur se fait déjà sentir à l’ombre. La gourde se vide peu à peu, mais sur le guide Rother, un lac « aux eaux d’un bleu turquoise » est indiqué… J’ai hâte.

C’est alors que le rêve d’eau turquoise s’effondre brutalement à la vue de la mer d’Aral qui s’étend à mes pieds, aussi sèche qu’une momie dans un musée poussiéreux. Dans le fond de ma gourde, j’entends mon reste d’eau tiède ballotter sournoisement au gré de mes pas. Je reste un bon moment fixer le fossile du lac, incarnant de tout mon être le sens du mot dépit, en maudissant le type qui a rédigé cette grosse arnaque « avec son lac vert émeraude » de mes fesses.

Le pic de Morgon se dresse à quelques kilomètres, mais je n’ai presque plus d’eau. J’envisage un instant de faire demi-tour et puis tant pis, je compterai mes gorgés tièdes pour aller voir ce que cette vue a à offrir.

Les premières montées sous le soleil donnent le ton: les derniers kilomètres seront secs, chauds et fatigants. J’atteins finalement le sentier de crête et miracle, il y a du vent \o/ Le chemin serpente à travers un balayage de nuances ocres, beiges et vertes, sur lesquelles dansent les ombres des nuages. C’est parfait. J’oublie le manque d’eau quelques temps et profite du silence niché dans son écrin d’immensités rocheuses.

Au bout d’un moment je crois voir se dessiner le fameux passage « à risques » un peu plus loin. Etant donné que toutes les personnes croisées depuis plusieurs jours m’ont décrit un passage vertigineux et escarpé de 15 à 20 mètres de long, l’angoisse monte. J’ai le sang qui tambourine derrière les oreilles. Je range les bâtons de marche et grimpe sur la roche au moment où le chemin s’arrête. Une fois les deux pieds et deux mains posés sur la langue rocheuse accrochée à la crête, l’angoisse retombe comme un soufflé. Je grimpe un peu plus haut pour vérifier si la vue offre une belle verticalité, ce qui est le cas. Le panorama est imprenable, mais la position peu confortable. J’en profite pour faire une BA et ramasser un mégot qui traîne puis redescends du bout de caillou après la traversée d’environ 5 mètres. Je réalise alors que le passage tendu doit être un peu plus loin, car celui-ci ne collait pas du tout à la description qui m’en avait été faites. Retour de cette stupide angoisse. Quelques dizaines de mètres plus loin je tombe sur un groupe de randonneurs qui se reposent dans l’herbe. Je me dirige vers eux pour papoter et savoir où se trouve ce fameux passage rocheux difficile. Ils éclatent de rire en me disant que je viens de le traverser et qu’ils me regardaient justement crapahuter sur les cailloux… Morale de l’histoire, ne pas se fier aveuglément aux descriptions faites par d’autres, car chaque ressenti est différent.

Les dernières centaines de mètres passent comme une lettre à la poste et j’atteins finalement la vue espérée du haut de ses 2324 mètres.

Entre l’immensité bleu azur au-dessus de nos têtes et la ligne d’horizon dentelée qui nous encercle, les vautours et grands corbeaux croisent les planeurs qui profitent du même terrain de jeux. Sur le pic de Morgon, une table d’orientation fendue en deux par un éclair, témoigne de ce qui façonne le paysage au fil du temps. Une poignée de marcheurs profitent de la vue en silence et un corbeau visiblement intéressé par nos restes de gâteaux, tente quelques approches héroïques. Finalement la discussion s’engage avec une des randonneuses présentes. En apprenant ma mésaventure de lac asséché elle me propose immédiatement de me donner un demi-litre d’eau sur les 2 litres qu’ils leur restent pour redescendre du pic avec son mari. J’ai rarement autant apprécié un cadeau, encore mieux que mon 4×4 téléguidé. Dans une euphorie contagieuse je savoure l’eau fraîche en mesurant un peu mieux ce que doit être le réel manque d’eau. Les marcheurs vont et viennent pendant que je reste vissée à mon bout de caillou pour profiter de la vue. Par moments, un vautour passe au-dessus de nos têtes dans un battement d’ailes démesuré. On voit se dessiner le Dévoluy, puis le Vercors au loin et le Queyras vers l’Est, comme autant de courbes et de pics qui attendent nos pas.

A un moment, il faut se décider à redescendre malgré tout. Un dernier regard à 360° et je me concentre sur mes pieds. La terre est très sèche et rend le terrain glissant. En pleine descente, je rencontre un jeune couple, peu habitué aux randonnées, qui marchent dans mes pas car selon eux j’ai l’air de savoir « où je vais », ce qui aura le mérite de me faire rire. On finira donc cette balade tous les trois en direction du parking du grand clot où j’embarque en voiture afin de retrouver le camping en m’épargnant les derniers kilomètres de bitume. Après les quelques 20 km parcourus dans la journée, le trajet retour fût plus que salutaire, le tout avec un peu d’Eric Clapton dans les oreilles, que demande le peuple?

Un dernier repas à la belle étoile, non sans une pointe de nostalgie précoce et je pars observer le spectacle d’un orage d’été sur le nord du Queyras. Les pieds dans le sable au bord du lac, hypnotisée pas le ciel qui s’embrase au loin dans une rage électrique, je me console en songeant que si demain sonne l’heure du retour au bercail, d’autres routes attendent ailleurs et que tant que mes pieds me porteront, j’irai à leur rencontre.

 

Sous le vol de l’Aigle

Après une nuit calme, je décolle direction le village situé au-dessus de Réallon (Les Gourniers). Plusieurs sentiers de randonnée partent de cette vallée dans toutes les directions, il y en a pour tous les goûts, amoureux du vertige ou non. Après avoir fait le tour du hameau, ce qui est relativement vite fait, je rejoins la marmite de géant qui se situe au départ du sentier de randonnée de la source de Chargès. Il est 9h00 et la matinée nous fait encore grâce d’un peu de fraîcheur. De l’autre côté du torrent, des sentiers en sous-bois partent en direction du ravin d’Entraigues et sans doute vers la roche Méane (2651m). Après avoir vadrouillé dans cette direction, je reprends le chemin de la cabane du Pré d’Antoni. À quelques pas de la Chapelle St-marcellin, je m’arrête sous le cri de l’aigle qui survole le sentier et s’en va faire plier en douceur la cime d’un arbre de l’autre côté du torrent. Je reste sur place, jumelles à la main pour profiter de la vue. Les Rennais, avec qui j’ai mangé la veille, me rejoignent le regard aimanté dans la même direction. Je les laisse profiter de l’ombre discrète offerte par les quelques arbres et reprends la route. Par moments, je me fige. Une forme sombre balaye mes pas et je n’ai plus qu’à lever la tête pour capturer l’instant.

Aucun bruit hormis la brise du vent, le vol de l’aigle et la fougue du torrent.

Cabane du Pré d’Antoni, 13h. Le luxe de prendre le temps, de perdre du temps. Il me reste un bout de pain-fromage datant de la veille, gardé bien au chaud sous le cagnard… De toute façon le fromage c’est plus ou moins fait à base de moisi alors ça fera l’affaire.

En dessous de la cabane, le torrent comme essoufflé par la chaleur de l’été, se calme et continu sa course en escalier. Une source d’eau aussi claire que fraîche sort de la roche. Tout autour, les grenouilles nagent et squattent chaque coin d’ombre. Je me dis que ça aurait fait un super spot de bivouac au calme, sans chercher à aller bien loin… Tant pis. Les Rennais font demi-tour, je les salue et reprends la route vers la source de Chargès, les yeux rivés sur le Mourre-froid (2994m) au pouvoir hypnotique. Au-dessus de ma tête, les roches semblent ridées par le temps qui s’écoule, par le vent qui repousse et l’eau qui fracture. Le paysage alterne entre rage et douceur, comme indécis quant au sort qu’il réserve à celui qui s’y attarde.

Un kilomètre plus loin, le bleu du ciel laisse place au gris et le silence se fissure sous des grondements lointains. Je redescends vers mon abri et la civilisation.

Je laisse les aigles profiter seuls du panorama.

Sur le chemin du retour, les papillons s’activent. Des Argus bleu et des Soucis, un nom bizarre pour un papillon au jaune éclatant. À croire qu’ils ont tenté de me prévenir que si dans la nature, on trouve des soucis, la civilisation, elle, peut vous apporter les emmerdes.

Au camping (fermé depuis la veille), c’est la méga-teuf de village. Des vieux jouent à la pétanque, ce qui ne me dérange pas le moins du monde. Par contre, arrivée à ma tente, je tourne la tête et croise les regards d’une brochette de types en slip de bain se grattant les valseuses d’une main, un verre de pastis dans l’autre. Au même moment, un gros gars sur une grosse moto passe devant ma tente, en combo slip-tongs et moustache, avec lui aussi un pastis à la main.

Équation niveau bac -5: Une fille seule dans sa tente + des dizaines de gars carburant au pastis depuis plusieurs heures + nuit qui tombe = Combien de kilos d’emmerdes potentielles? Pour avoir déjà un peu vadrouillé, ma réponse serait la suivante: beaucoup trop.

Il est 18h30, j’ai la dalle et pas le temps de réfléchir ni de prendre une douche. Je remballe mes affaires en moins de 15 minutes. Devant moi, deux mamies ramassent leurs serviettes de bain, la clope au bec. Elles acceptent volontiers de me redescendre dans la vallée. La voiture démarre, le stress reste derrière. La conductrice est une vraie chauffarde mais leur duo est bien plus comique que la perspective de ma soirée au camping. La vie est faite de choix. Au gros type en slip & pastis, je préfère tendre les bras au ravin. Les deux mamies hautes en couleurs, vont même faire un détour de plusieurs kilomètres pour me déposer dans un camping au calme avec vue sur le lac de Serre-ponçon, au pied du pic de Morgon. Un immense merci et elles repartent vers leur village. Je pose ma tente sous la nuit qui tombe et le regard amusé d’une famille. Après leur avoir raconté mes péripéties, qui ont eu le mérite de les faire rire, ils me déposent sur la route qui mène au camping pour manger une pizza bien méritée. Peu convaincus par le premier endroit au look un peu roots, ils descendent direction Savines le Lac. Le resto roots en bord de route me convient parfaitement. La pizza 4 fromages engloutie, je passe la soirée en compagnie de deux blues man quinquas qui se marrent à la description du gros type en slip à moto et me payent une bière en me parlant rando et musique. Après 2 journées en une, j’ai dormi comme une enclume en or massif.

 

D’Ailefroide à Réallon

Le lendemain du Glacier Noir, j’ai fait un bout de la randonnée du refuge du Pelvoux avec un de mes voisins de camping anglais, mais la chaleur et mon genou fatigué par la descente de la veille, nous ont fait stopper un peu avant l’arrivée. On a d’ailleurs croisé uniquement des gens qui redescendaient avant d’avoir atteint le refuge, eux aussi chassés par la chaleur écrasante du jour. Je n’ai pris aucune photo, étant visiblement incapable de marcher sous le cagnard, parler anglais et penser à prendre des photos en même temps… Comme quoi l’évolution à ses limites et moi les miennes!

Le dernier jour à Ailefroide j’étais partie pour ne rien faire et me reposer avant le départ vers le sud du massif. Finalement, mes nouveaux voisins me proposent de venir grimper avec eux, à l’ombre des parois. Je n’ai pas enfilé de baudrier depuis 10 ans et je n’ai rien d’autre que mes chaussures de rando, ça promet.

Je les rejoins en début d’après midi sur un bout de paroi de l’autre côté du torrent. Le défi du jour consistant donc à ne pas se vautrer, tout en ressortant mon niveau d’anglais des tiroirs. Aucune chute à déplorer, bien que grimper en chaussures de randonnée, c’est un peu comme faire du vélo avec des palmes, c’est possible mais c’est pas top. Mon niveau d’anglais l’emporte sur mon niveau d’escalade, ce qui est plutôt normal en somme. Maintenant il ne tient qu’à moi d’y remédier à force de patience et d’arnica ^^. Après une belle après midi à crapahuter à l’ombre, nous terminons la soirée dans ce qui semble être un peu devenu mon QG local, avec une bière fraîche, un repas chaud et une bonne ambiance.

Au moment de régler la note je découvre qu’une consommation m’était payée d’avance depuis la veille grâce à un mécène parti regagner le sud 😉 . C’est ce qui s’appelle partir sur une note positive! (Merci encore pour la belle surprise!)

Le matin je traîne avec mes nouveaux acolytes autour d’un petit dej’ amélioré, carrément luxueux comparé à ma floraline à base de lait en poudre mal dosé. Bref, c’est un peu Byzance ^^ Entre croissants, thés & cafés, recharge de batteries, lecture et déchiffrage de cartes, les heures passent et en début d’après-midi, il est finalement temps pour eux d’aller grimper et pour moi de décoller. Quand on se sent bien dans un endroit d’adoption, il faut trouver la motivation pour s’arracher à sa nouvelle zone de confort. Les au-revoir passés, je remballe mes affaires avec l’entrain d’une loutre sous prozac.

Le pouce en l’air au bord de la route je me demande un peu où je vais et ce que je fais là. Pas le temps de tergiverser, un camion s’arrête et j’embarque avec un guide de moyenne montagne direction L’Argentière. Je monte ensuite dans la voiture bien remplie d’une fille au large sourire, qui me conduira jusqu’à Chorges (53Km). Le trajet passe en un éclair au fil des sujets de conversations variés qui s’enchaînent avec décontraction. Je me rappelle alors pourquoi il est si important de savoir la quitter cette fameuse « zone de confort ». À Chorges, je m’arrête manger un bout, vu que mon croissant du matin en bien loin derrière moi. Deux voitures plus tard, me voilà à Réallon (village). Je rejoins alors le camping. Celui-ci ferme le soir même mais je peux quand même rester squatter quelques jours, parfait. Clairement, au niveau de l’ambiance c’est pas Ailefroide. Il n’y a que des vieux en camping-cars qui me reluquent comme l’attraction du coin fraîchement débarquée. Bienvenue au zoo. J’aurai dû acheter des cacahuètes.

Je pose ma tente sous le regard insistant d’un des vieux qui va jusqu’à décaler sa chaise d’un bon mètre derrière son gros camping car, pour pouvoir continuer à épier mes moindres faits et gestes. Je pique ensuite une tête, toujours épiée par le vieux, visiblement étranger à tout concept de respect de l’intimité. Dépitée, je pars en quête de réseau pour donner des nouvelles à mes proches, qui eux s’éclatent en famille. Ça y est, il est là le moment moisi du mal du pays. En passant à côté du plan d’eau, sous le regard du vieux, j’aperçois un papillon en pleine détresse qui flotte à la surface. Je pars le repêcher et me pose au bord de l’eau avec mon compagnon d’infortune qui sèche dans le creux de ma main. À ce moment, j’entends le cri d’un aigle qui nous survole. Le temps s’arrête.

Le regard accroché à la silhouette aérienne qui sillonne le ciel bleu dans les derniers rayons du jour, j’oublie le vieux le relou et ma fatigue. Une fois sec, je repose mon volatile sauvé des eaux. Demain je partirai dans la direction du vol de l’aigle.

De retour à ma tente, un camping-car de jeunes Rennais s’est fièrement interposé entre moi et le mateur d’à côté. Triple hourra \o/ J’engage la discussion et au retour de ma douche, ils m’invitent à partager leur repas… Je passe finalement une super bonne soirée à papoter vadrouilles en tous genre avec mes hôtes, autour d’un repas chaud et des cartes de la région. Il faut connaître des coups de moins bien pour pouvoir apprécier les bons moments à leur juste valeur.

La nuit est claire, pas un nuage, juste les étoiles et le bruit du vent.

La glace sous les blocs

Pour changer du Glacier Blanc, le lendemain je pars rejoindre le Glacier Noir, un glacier recouvert de roches sombres qui lui donnent son nom. J’esquive le sentier d’Ailefroide emprunté la veille et j’embarque en voiture avec un gars du coin après environ 30 secondes de Stop.  Oui, dit comme ça, y a vraiment un côté « grosse flemmasse » et c’est parfaitement le cas.

Dès le matin le soleil cogne. Arrivé au Pré de Mme Carle, le départ du sentier est le même que celui du Glacier Blanc, puis il bifurque entre deux montagnes. Le côté négatif c’est qu’il n’y a pas un gramme d’ombre (sauf à la fin), l’immense côté positif, c’est qu’il n’y a personne ! De tout le parcours, j’ai dû croiser 10 marcheurs, tandis qu’au Glacier Blanc, mieux vaut éviter de compter au risque de rater une marche. Le sentier se déroule presque entièrement sur la crête de la moraine. Un couple devant moi fait demi-tour, le vertige ayant eu raison de leur motivation initiale. C’est vrai que par endroits le chemin n’est pas très large, mais ça participe indéniablement à la beauté du lieu. En somme, si vous n’êtes pas sensible au vertige et que vous cultivez un côté ours, vous êtes sur le bon sentier.

Le fait d’être en contrebas sur cette petite crête, donne une impression assez enivrante de grandeur du paysage sur 360°. Par contre, le côté « chemin tout droit devant » donne aussi franchement l’impression de ne pas avancer… J’utilise donc mon litre et demi d’eau en mode rationnement sous une chaleur bien installée. Vers la fin du chemin, un mémorial fait face aux pics dont certains ne sont pas redescendus. Un peu plus loin en contrebas, une popote vissée à un bloc rocheux fait face à l’arête rouge avec un nom et une date récente gravée dans le métal. Autant d’éléments qui remettent un peu les pieds sur terre quand la marche donne des ailes. Étant toute seule et sans carte précise, je m’arrête au bout du sentier, en descendant quand même un peu en contrebas pour suivre la trace du regard, direction le Mont Pelvoux et le Pic Sans-Nom. Ce sera pour une prochaine fois.

Posée seule face aux montagnes, je profite de la vue sauvage et écorchée qu’offre le Glacier Noir, bercée par son magistral silence. Par moments, les pierres qui dévalent les pentes, viennent rompre le calme, comme un feu qui couve sous la glace et qui laisse présager que la torpeur ambiante n’est qu’une illusion.

Après la contemplation silencieuse, Cat Power dans les oreilles, je savoure la liberté de l’instant.

Une fois le nez cramé en plein cagnard, je descends de l’autre côté jusqu’aux Balmes de François Blanc, histoire de retrouver un peu d’ombre. Je trouve finalement bien mieux qu’un peu d’ombre: un couple sympa avec une carte, en pleine phase de reconnaissance du terrain. Je m’incruste dans leur cartographie des pics alentour et ils m’expliquent comment rejoindre la « rive » d’en face car ils en reviennent tout juste.

Vu l’heure (16h), le manque de carte, d’eau supplémentaire et autres outils plutôt pratiques pour ne pas se perdre ou décéder tristement dans des conditions toutes pourries, je décide de redescendre le sentier.

Passé le Pré de Mme Carle, j’avance un peu avant de me décider à tendre le pouce. Finalement, une sympathique grand-mère marcheuse entame la discussion et le pouce resta dans la poche. Son fils passera nous chercher en voiture un peu plus loin pour nous descendre au camping. Avec quelques bonnes histoires locales de plus au compteur, je regagne ma tente en fin d’après midi.

Les voisins sont redescendus du Glacier Blanc tartinés d’écran total, avec un petit air fatigué imprimé sous la crème solaire. C’est l’heure de la bière fraîche (celle avec les gouttes qui coulent le long du verre), ultime récompense de la journée, suivi d’un resto… décidément la vie est un combat 🙂

D’Ailefroide au Glacier Blanc

Vers 8h00 du matin, direction le refuge du Glacier Blanc depuis Ailefroide (environ 9Km, de 1507m à 2466m). Personne sur le sentier, pas un bruit, un brin de fraîcheur et le flottement du temps suspendu. Une fois sortie des arbres, le soleil assomme le paysage scellé sous un bleu implacable, laissant présager que la journée sera chaude.

Soudain, je m’arrête. Une biche dévale du chemin pour prendre de la distance avec l’intrus que je suis. À quelques mètres en contrebas, elle m’observe, immobile. Moi aussi. Un couple de grimpeurs arrive derrière moi. Je leur fais rapidement signe de se taire et leur montre la silhouette qui s’anime à quelques pas de nous. Ils s’arrêtent un instant et repartent sans bruit après m’avoir remercié d’un large sourire. Je m’installe et j’attends. Visiblement aussi curieuse l’une que l’autre, aucune de nous ne détalle. Minute après minute, la biche se rapproche. Elle grimpe vers le chemin en plein dans ma direction et arrive à mon niveau. Elle se fige, on se fixe. « Les yeux de biche » prennent finalement un sens beaucoup plus séduisant, celui de la curiosité mêlée à l’impertinence. Elle lève fièrement sa tête, me renifle et passe à un peu moins d’un mètre cinquante, le plus calmement du monde. Nous repartons dans nos directions opposées. Je pense à prendre une photo et reprends la route au seul son du torrent.

Quelques éboulements rocheux plus tard, le paysage change et la végétation diminue. Il n’y a personne sur ce sentier et l’arrivée vers le Pré de Mme Carle me fait l’effet d’un retour à la civilisation version village vacances. L’avantage c’est qu’on y trouve à manger, ça tombe bien j’ai faim. Une omelette nature avalée, je laisse mes voisins de tables se remplir de fromage et de rosé, avant d’aller, eux-aussi, en direction du glacier blanc… C’est une stratégie.

Sur le début du sentier il y a déjà pas mal de monde. Surplombant de quelques mètres les panneaux de direction, j’observe mes voisins de midi faire demi-tour face au temps de marche indiqué. Rosé 1 – Glacier Blanc 0. Je ris.

Le sentier est plutôt chouette à faire malgré la foule des grands jours. Manque de bol, la batterie de la Gopro se décharge dès le début du parcours -_- (d’où les photos un peu moisies). En suivant les premiers lacets, j’entends un accent qui me rappelle quelqu’un. Le couple qui m’a déposé à Briançon est redescendu du dôme de neige. Les traits un peu tirés, mais visiblement contents (après un départ du refuge des Écrins à 3h00 du matin), ils s’arrêtent quelques minutes pour me raconter leur parcours avant de repartir vers le confort et le repos qui les attendent au gîte.

Le passage du torrent et le lac Tuckett offrent de beaux panoramas qui méritent le détour. Le mieux étant sans doute de bivouaquer près du Lac Tuckett pour profiter d’un tête à tête avec le paysage. Au refuge il y a de l’eau au robinet, ce qui est assez appréciable sous cette chaleur. Le Glacier Blanc semble alors tout près et en même temps, difficile d’imaginer qu’il descendait jusqu’au Pré de Mme Carle… Si je n’étais pas venue à pied depuis Ailefroide, j’aurais sans doute poussé plus loin, mais la raison l’emporte, alors je me contente de la terrasse et d’un Perrier frais.

Les abords du refuge se vident et le jour commence à décliner, il est l’heure de redescendre. Un couple, avec une gamine haute comme trois pommes, me laisse passer entre deux échelles. La scène est assez cocasse et les parents visiblement bien plus inquiets que la petite qui prend bien le soin d’expliquer, à chaque pas, où elle pose ses pieds. Sur la fin du sentier, la faible luminosité appelle le sommeil et le lecteur MP3 s’avère utile pour garder les idées claires. L’avantage non négligeable, c’est qu’il n’y a plus un rat! On a rien sans rien.  Le pré de Mme Carle, lui aussi est devenu calme. Par contre, si je veux descendre en Stop jusqu’à Ailefroide, la mission s’annonce compromise. Il reste le couple qui descendait avec leur fillette et peut-être 4 ou 5 personnes par-ci par là.

Au bord de la route je croise quand même trois gars qui scrutent les montagnes à côté de leur fourgon noir. Après les parkings, je tente un stop, deux voitures étrangères dont une sans banquette arrière. Avec mes 14km dans les pattes (-1045m et +1414m) ça sent quand même pas mal la journée à rallonge. Finalement, le fourgon noir fait son apparition. Le pouce en l’air, je me dis que ça pourrait faire le début d’un film d’horreur américain bien kitsch à regarder un soir de grippe ^^ Au final, les 3 acteurs principaux seraient assez peu crédibles en Freddy Krueger 🙂 Plus de place disponible à l’avant, mais il y en a dans le fourgon « Par contre y a pas de fenêtres! ». J’embarque donc à l’arrière du fourgon sans fenêtres avec un des copilotes et sa lampe frontale visée sur la tête. Probablement la session de stop la plus comique du voyage. Quand je pense à tous les conseils qu’on entend pour voyager seule quand on est une femme, ça doit sûrement être moins foireux, mais sacrément plus chiant.

Une fois au camping, on découvre finalement que nous sommes voisins. J’embarque donc les quelques victuailles partageable qu’il me reste, autrement dit plutôt des pistaches que du lait en poudre et je retrouve mes nouveaux voisins pour le repas du soir. La soirée sera à l’image du trajet en fourgon sans fenêtre, pas très bien éclairée, mais drôle !

« Gone are the dark clouds… »

De La Grave à Ailefroide

La veille, en rentrant du lac du Goléon, un pique-nique improvisé aux lueurs des bougies avec ma voisine de camping, aura rendu la dernière soirée à La Grave aussi riche et inattendue que le reste du voyage. Les histoires d’orages et de bivouacs chaotiques se teintent d’aventures en ombres chinoises.

Le lendemain, comme annoncé depuis plusieurs jours, il pleut.

Je remballe ma tente humide et passe dire au revoir à ceux que j’ai croisé durant ces derniers jours, avant de tenter le stop sous la pluie direction Ailefroide. En passant saluer la gérante du camping, elle me propose de me faire déposer par sa belle-sœur, venue lui rendre visite ce matin là, au meilleur spot pour tendre le pouce. Quand on vous dit que les gens de la montagne sont sympas.

A peine déposée, un fourgon s’arrête et me conduit à Villar d’Arêne. Puis les voitures immatriculées en Ile de France ou en Italie s’enchaînent à mesure que l’espoir s’amenuise et que la pluie s’infiltre sous la veste. Une voiture arrive de l’autre côté de la route et fait demi-tour sur le parking près de moi. Un couple souriant, à l’accent tout aussi souriant, s’arrête et ouvre les portières \o/

« Eh! Je vous ai vu au dernier moment et j’ai eu pitié de vous sous la pluie! Alors j’ai fait demi-tour, vous allez où? » ***Faith in humanity restored***

bip-bip!

Il y a des gens avec qui le courant passe tout de suite et sans concertations. Je fais la route avec eux en direction de Briançon quand ils m’apprennent qu’ils ont aussi rencontré un autre randonneur qui, comme moi, trimbalait sa maison sur son dos, avec plus de bornes au compteur. Il arrivait aussi du plateau d’Emparis et quittait La Grave en direction du col d’Arsine sur le GR. A vu de la description assez précise, je reconnais mon co-bivouaqueur du Lac Noir, ce qui a le don de bien faire rigoler mes hôtes et moi aussi. Entre souvenirs de colonies de vacances, randonnées en montagne, passage de col et marche sur glacier la route passe en un changement de vitesse.

De l’importance du moment présent.

Ils se rendent à Ailefroide le lendemain pour rejoindre le glacier blanc puis le dôme de neige. « Peut-être à demain alors! » me lancent-ils avant de repartir tout sourire dehors.

A la gare de Briançon, n’ayant aucunement l’intention de prendre un transport en commun, je me mets en quête d’un coin à stop, quand mon œil, voire même les deux, se posent sur un drapeau breton. Je commande un café et lance le sujet « Bretagne » sur le comptoir. Le barman visiblement ravi me raconte son parcours et son retour annoncé en Bretagne pour bientôt. On parle « Tas de Pois », « Pointe St Matthieu », « Crozon-Morgat » et je repars motivée avec un café, des histoires en plus et un emplacement à Stop, à la sortie de la ville.

Le stop « urbain » c’est un peu plus la mission.

1: ne pas se faire écraser, 2: tenter de ne pas trop effrayer les gens de la ville et touristes de passage… Oui parce que même moi, du haut de mon mètre soixante, je peux être impressionnante visiblement ^^. Mais ça, c’est une question de contexte. Après vingt bonnes minutes à jouer au poireau souriant et détrempé, une voiture s’arrête et la route reprend avec son lot de rêves de voyages, échangés entre deux lacets de montagne. Le couple, qui passe ses vacances à Pelvoux, fait même le détour pour me déposer à Ailefroide, devant le camping. « Fatiguée mais ravie », comme dirait l’autre, je plante ma tente sous la flotte. Il fait un froid humide et je n’ai pas mangé depuis plus de 8 heures, il me faut un café pour faire un trou dans l’estomac. Je toque à la porte indiquée par ceux qui m’ont déposé. Un couple du coin tient un petit bar où il fait bon se perdre. On se croirait dans un Miyazaki, chez le vieux Kamaji qui respire la bienveillance un peu bourrue et pince sans rire, la meilleure.

Le café noir creusant à présent mon estomac vide, je tente de trouver du réseau pour donner des nouvelles à ma mère, qui elle, n’a pas besoin de jeûner pendant plus de 8 heures et d’avaler un expresso pour se faire de la bile à mon sujet.

Aucun réseau, nulle part. Alors moi j’aime bien hein! Mais bon… Je trouve sur ma route un adolescent du coin qui me donne la recette miracle, couper la clé 3G. Bim! 4 barres de réseau! Je reste papoter avec mon sauveur du jour qui me raconte le passé du village et ses anecdotes bien planquées dans les tiroirs. Dans les années 70 une tempête de neige a recouvert tout le village et enseveli les chalets, bloquant les accès des cheminées. Le fameux M. Kamaji a fait partie de l’expédition de sauvetage qui a mis plusieurs jours pour rejoindre Ailefroide à ski, pour sauver ses habitants qui, entre temps, avaient construit des galeries sous la neige pour se rejoindre et s’entraider. Je savais bien qu’ils regorgeaient d’histoires tous les deux…

L’appel du ventre finit par prendre le dessus en début de soirée. Étant prise d’une flemme épique à la simple idée de cuisiner sous mon abside, je rejoins un chalet-restaurant pour manger quelque chose de consistant. Du genre autre que le café. A la table d’à côté, un petit monsieur, d’un âge certain mais indéterminé, bouquine tranquillement. Je décide donc de sauter à pieds joints dans sa tranquillité et la discussion s’engage.

Impossible de retranscrire sur écran le vécu d’une rencontre. Frustrant.

Au fil des sujets les heures se suivent et ne se ressemblent pas. Se connaître peut prendre toute une vie, alors se rencontrer c’est déjà pas mal non? En tout cas, cette rencontre là, a un parfum particulier. Imaginant peut-être les discussions que j’aurais pu avoir une fois adulte avec mes grands-pères. Après tout, qui sait ce que l’on part chercher quand on voyage? Et à quoi bon en faire des certitudes?

« J’ai l’impression d’avoir rajeuni! Merci! » me lance-t-il avant de s’en aller vers ses pénates. Et moi donc 🙂

Sur la table d’à côté, le regard un peu perdu entre la fatigue et les pages de son livre, je rencontre un grimpeur venu d’Angleterre. De quoi faire travailler mon anglais un peu rouillé mais finalement pas si foireux, hormis dans la compréhension de son prénom. Scène qui aura eu le mérite d’être très drôle en plus d’être (mais alors juste un peu) ridicule ^^. Je l’appellerai donc par son diminutif, faute de neurones encore éveillés. On repart tous les deux en direction du camping, où il fait aussi noir que dans un camping sans lumière, avec des arbres, dans les Alpes, pendant une nuit sans étoile. J’ai heureusement pensé à embarquer la frontale, qui s’avère utile sur les derniers mètres qui me séparent de ma tente posée le jour même « à la va vite ».

Le lendemain matin, la pluie a laissé place à un ciel bleu vif. Je pars, en mode Jimmy Cliff, direction Bosse de Clapouse, comme conseillé par le M. Kamaji local. Bosse de Clapouse qui s’appelait à la base Bosse de Clafouse, mais un type a dû un jour éternuer sur son Rotring en rédigeant la carte du coin, et le « f » s’est changé en « p »… Moi qui angoisse pour les fautes de frappe dans mes mails, me voilà rassurée.

La randonnée est facile et le sentier sans difficultés. J’arrive en haut assez vite et profite de la chute d’eau pour patauger un peu. Ce nid de verdure, particulièrement bucolique, offre un panorama grandiose sur les sommets alentours, comme autant de possibilités. Je pousse un peu plus haut en suivant des Cairns, juste pour voir. N’ayant pas pris de carte je n’irai pas loin. Un randonneur qui redescend du pierrier se fige à quelques mètres de moi. Devant nous, un chamois passe avec aisance les éboulements rocheux et grimpe en direction d’un compère haut perché qui profite d’un coin d’ombre. Il jette quelques regards autour de lui, sur ces drôles de bêtes mal-agiles dans les cailloux, avant de s’éloigner. J’apprécie la quiétude de l’instant, puis redescends doucement direction Ailefroide, avec des pauses stratégiques « framboises sauvages ».

Le soir, mon programme du lendemain se dessine sur la table du chalet, autour d’une bière et sous les conseils avisé de mon guide de la semaine (un certain Georges 🙂 ) qui s’amuse de mes récits. Direction le glacier blanc depuis Ailefroide, pour pouvoir le découvrir pas à pas.

Sans bitume et sans bruit.

Les cairns tu suivras

De La Grave au Lac du Goléon

En milieu de matinée, je quitte le camping par le sentier qui mène vers La Grave, avec pour projet de prendre mon petit déjeuner en terrasse avant de décoller pour le lac du Goléon (environs 8km de 1500m à 2500m) . Une fois dans le village, je perds un temps infini pour prendre le dit « petit dèj » que j’avalerai finalement à midi, le seul et unique distributeur de La Grave étant en panne depuis plusieurs jours et les établissements n’acceptant pas tous les paiements par carte en dessous d’une certaine somme…bref! j’aurai gagné un temps fou à terminer mon reste de floraline au camping. J’espère pour les commerçants du coin que la région se bougera enfin un peu les miches pour que ce problème, visiblement récurrent, soit enfin réglé une bonne fois pour toutes.

Le déjeuner terminé, je grimpe les 300m de dénivelé en direction des Terrasses par le GR54 et suis la route bitumée vers Les Hières. A vrai dire, rien d’extraordinaire sur cette section, heureusement une famille arrivée de Paris m’embarque sur les derniers mètres jusqu’au parking du départ.

Ce n’est qu’arrivée sur le sentier que je découvre le chantier en cours, n’ayant pas été prévenue à l’office du tourisme. La construction d’un barrage hydroélectrique a complètement métamorphosé le sentier pour grimper au lac. La piste hyper large des engins de chantier, grimpe en mode tout droit et coupe les boucles du chemin qu’il faut suivre à l’aide des cairns. En bref, c’est le bordel.

Le paysage reste magnifique, mais le sentier a pris un sacré coup dans sa tronche.

Il vaut donc mieux éviter de rester sur la section au centre et serpenter en cherchant les cairns. Je croise quelques personnes, sous un soleil qui cogne doucement mais sûrement. Les deux premiers tiers du sentier ne présentent pas de difficulté particulière, surtout sans sac de rando. La dernière section par contre est plus abrupte. Sur la fin, je commence à fatiguer. Du coup, j’ai pris une décision bien bien nouille comme il faut, en voyant un cairn un peu plus haut. Il y avait, pour y accéder, un genre de sentier qui grimpait tout droit, du genre direct mais efficace. Banco!

Etant au courant que la dernière section grimpait plus que le reste, ça m’a paru logique. Une fois dessus, j’ai bien regretté mon erreur. J’apprendrai plus tard que certaines traces directes sont dues aux aller-retours vers le chantier, oui mais ça c’était plus tard. Sur le coup j’ai copieusement râlé sur les types qui ont rédigé mon guide rando et leur soit disant « randonnée à caractère familial de mon c** ». Accrochée aux cailloux avec le sac de 12 kilos sur le dos je finis par me hisser péniblement en haut sous les allers et venues de l’hélicoptère, qui heureusement n’était pas venu chercher la fille un peu neuneu avec son gros sac, mais ramener le matériel du chantier.

Soit dit en passant je considère quand même que le guide Rother se plante en décrivant la randonnée comme « familiale », pour avoir moi-même croisé pas mal de familles avec enfants (ou même adultes) en pleine galère, car trop jeunes (moins de 10 ans) ou peu habitué aux efforts physiques qu’exige la montagne. L’état du sentier, pour le moment, demande aussi de bien prendre son temps, pour emprunter la route la plus facile qui serpente et s’approche de la chute d’eau une fois en haut, avec en prime un beau point de vue. Disons que pour une famille sportive, avec des enfants d’au moins dix ans, ça ne devrait pas poser de problème, mais en dessous de cet âge, pas sûr qu’ils apprécient la balade et du coup vous non plus. Croyez moi, j’en ai croisé qui étaient franchement mal partis pour passer un bon moment ^^.

Je finis par grimper la dernière langue rocheuse et aperçois enfin le refuge en me disant qu’il est juste impossible que je redescende par cette même voie directe avec le sac le lendemain, à moins de vouloir descendre vraiment très vite.

Une fois près du lac tout va mieux. Il n’y a plus personne, juste moi et mes quelques kilomètres dans les pattes. Le ciel se couvre et donne à l’eau un visage austère, celui d’un lac qui pourrait abriter autant de légendes que l’imagination lui accorde. Une bonne dose de plénitude aux accents sauvages.

Après m’être refroidi la tête, les yeux perdus dans les reflets du lac, je monte vers le refuge pour profiter d’un peu de chaleur et de tarte à la poire maison, ayant déjà bien tapé dans mon capital énergie.

Les gérants sont vraiment sympas et accueillants, tout comme le cadre du chalet lui-même. C’est à ce moment que j’apprends ce qui est arrivé à ce pauvre sentier et déduit mon erreur de parcours sur la fin de celui-ci. Le barrage permettra, entre autres, l’accès à l’électricité pour les gens du refuge. Pour le moment ce sont les lueurs, non sans charme, des bougies et lampes à pétrole qui animent leurs soirées et me rappellent, avec un brin de nostalgie, les soirs d’été passés après une journée de surf, la tête oscillant entre l’assiette de pâtes et la « lampe tempête » de mon grand-père qui parfumait l’air de son pétrole enivrant.

La pause salutaire terminée, je pars monter ma tente un peu plus bas, à mi-chemin entre le lac et le refuge. En pleine opération bivouac, un groupe de copains vient me proposer une bière rafraîchie dans le lac, ça ne se refuse pas. Ils arrivent de Briançon et ont trimbalé leur pack de bière sur le dos depuis le parking du bas, motivation. La fille du groupe a piqué une tête dans le lac, j’avoue que je ne sais pas comment au vu de la température de l’air et de l’eau. Après avoir papoté et m’être bien marrée avec cette troupe surgie de nulle part entre deux cailloux à 2500m d’altitude, ils repartent à la tombée du jour avec leurs bières vides sur le dos, pendant que je rejoins ma tente. Les pâtes au riz et champignons (cuisine hautement gastronomique) mijotent doucement dans le ronflement familier du réchaud.

Après avoir mangé, j’entends des voix. Petit 1, les champignons n’étaient finalement pas des cèpes, petit 2, je ne suis plus la seule à bivouaquer. Un groupe s’est installé au bord du lac, j’embarque mon chocolat à la fleur de sel pour aller saluer mes nouveaux voisins. Ils arrivent de Briançon et Fontainebleau et me proposent de partager avec eux leur bouteille de rosé… La vie est une dure lutte comme dirait l’autre (qui se reconnaîtra). On grimpe donc sur les hauteurs du lac, notre verre à la main, pour immortaliser le mélange improbable de nos têtes coiffées par le vent et du décor qui nous accueille pour la soirée. Après avoir partagé un chouette moment et de bonnes histoires agrémentés de vin et de chocolat, chacun regagne ses pénates, parce que c’est marrant, c’est joli, mais ça pèle. Retrouver ma tente dans la nuit n’a pas été chose facile, mais une fois que j’y suis, je place mes pieds dans ma polaire et enfile quelques couches en plus du sac de couchage, la nuit sera fraîche.

Vers minuit, en demi-sommeil, j’entends le hauban de la tente tonner comme si quelqu’un s’était pris les pieds dedans en plein festival. Il est trop tôt pour que ça soit les premiers grimpeurs, si ça se trouve c’est le vent. Quelques instants plus tard j’entends un miaulement un peu rauque juste à côté de la toile de tente… Et si c’était un Lynx? J’ai envie de me lever, d’aller voir, de tenter une percée héroïque avec ma Gopro en faisant le moins de bruit possible et en allumant la frontale au dernier moment, mais le sommeil lui, implacable, prend le dessus tel une claque à pleine main. De toute façon le Lynx aurait détalé au premier bruit.

Je dors comme une pierre malgré les températures négatives.

Au matin la gelée blanche a recouvert les abords du lac. Je grimpe prendre le petit déjeuner au refuge parmi la bonne humeur des ouvriers qui terminent le leur. Réveillée et réchauffée, je regagne le lac. Le vent se calme par moments et laisse apparaître à la surface de l’eau le reflet presque lisse de la Meije et des sommets alentours. Les linaigrettes duveteuses qui bordent l’eau se balancent sous la brise, pas un bruit… hormis l’inattendu « Ahou, Ahou, Ahou! » des ouvriers sur leur chantier, qui vient rompre le silence, tel un éclat de rire dans un film muet. Le soleil finit par dépasser la montagne et apporter quelques degrés confortables. Une fois les yeux bien remplis et les souvenirs emballés, je quitte le lac peu après mes voisins du jour, non sans un dernier coup d’oeil.

La descente sera finalement bien plus tranquille que dans mon imagination, profitant du soleil, du panorama vers la Meije et des nuages qui sillonnent le ciel. Arrivée au parking, deux copines attendent leurs hommes qui redescendent du Pic du Goléon, et me reconnaissent avec mon sac sur le dos puis me proposent de me redescendre jusqu’au camping une fois leurs grimpeurs respectifs revenus; What else?

Dans la descente, un chevreuil dévale les pentes et traverse la route devant nous. Retour dans la vallée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un peu d’orage et de hasard

Du Lac Noir à La Grave

Le soir, l’emplacement du bivouac, donne au matin, la magie du premier regard.

6h30, j’ouvre l’abside face à la Meije où s’accrochent depuis la veille quelques irréductibles nuages.

Sans vent, le lac offre des reflets hypnotiques des sommets qui nous font face, pendant que le soleil continue sa course en balayant le ciel d’un dégradé de rose et de jaune qui vient réchauffer doucement les premières heures du matin et les couleurs de la neige. Immobile, silencieux et se suffisant à lui-même, le décor me réveille en douceur, rien à voir avec le radio-réveil du quotidien et ses flash infos.

Apaisement.

C’est l’heure de faire chauffer le petit dej’: une floraline à la banane séchée et le thé, indispensable allié dans mon cas, à une quelconque secousse de neurones. Sur la boîte de lait en poudre achetée, l’équipe de com’ avait trouvé judicieux d’écrire « Bien dosé, c’est très bon! », phrase qui signifie en réalité « Mal dosé, c’est dégueu ». Mon conseil donc, sur-dosez le lait en poudre plutôt que l’inverse, sinon ça ressemble visuellement à du lait, mais la comparaison s’arrête brutalement là. J’avale ma floraline au goût mi-eau, mi-lait et banane, mon thé fumé, et le fameux bout de gingembre confit, épreuve ultime, mais aux vertus anti-fatigue (avec en prime un petit coup de boost contre les infections ORL), puis remballe mes affaires en profitant de la vue.

Je redescends tranquillement vers le col du Souchet, pas vraiment pressée de quitter ce paysage et ses marmottes, visiblement sereines pour passer l’hiver, qui me scrutent depuis leurs cailloux respectifs. Un dernier passage devant le lac Lérié en faisant attention de ne pas marcher sur les mini grenouilles qui jalonnent les chemins et je retrouve le col.

Deux passages consécutifs d’enclos plus tard, je me dis que j’aurais dû suivre le panneau d’itinéraire VTT. Un de mes voisins de bivouac se retrouve alors devant moi en guise de leurre et j’avance vers le Chazelet avec pour objectif de rejoindre les abords du Lac du Goléon le soir même. Je finis par retrouver le dit-voisin sur un banc improvisé et profiter d’un café face aux montagnes… Après un point météo, plutôt de bonne augure pour la suite de la journée, lui reprend sa route et moi la mienne. Mis à part le fait que les descentes m’ennuient, celle-ci est assez longue avec le sac, mais rien de compliqué. En bas je m’arrête manger une crêpe, plat totalement exotique pour une bretonne demi-sel, avant de repartir en direction du village « Les Clots ».

Sur le sentier, je m’engage sur un passage dont j’ai horreur avec le sac chargé et un ciel devenu menaçant: un chemin étroit sur un dévers de paillettes de schiste qui débouche sur une langue rocheuse avec corde, bref, allons-y Michel! Après environs 2 mètres, je fais demi-tour car les gouttes commencent à tomber, je passerai par la route, j’ai bien compris le message…shallnotpass

 

Une fois sur le bitume, les gouttes se transforment en grêle qui semble bien décidée à me faire m’arrêter. La visibilité se réduit à vitesse grand V, la grêle me chatouille le crâne, mais « oh, miracle! » un abri en pierre au bord de la route quelques mètres plus loin, je pourrai au moins avoir le temps de sortir ma veste du sac… A peine arrivée sous le fameux abri au look solide, le claquement de la foudre et le flash qui l’accompagne viennent me secouer les tympans et m’envoyer de jolies petites étoiles dans les yeux. Comme une légère odeur d’allumette, je me retourne, l’abri se révèle être un transformateur électrique. Échec.

Juste à côté, un bon vieux pylône a dû servir de parafoudre. Une voiture descend, je lui fais signe et le type m’embarque aussitôt à l’arrière avec son Braque de Weimar, qui craint l’orage et étale sa grosse tête dépitée contre moi en me regardant l’air de dire « Toi aussi, t’es là? ».

Finalement je descends à La Grave tel un chien mouillé.

Une fois en bas, l’orage cesse aussi brusquement qu’il est arrivé. J’atteins le camping (La Gravelotte) et échoue ma tente en plein milieu. Je profite de mon passage imprévu en pleine civilisation pour faire une lessive. Absorbée par mes gestes répétitifs et mes chaussettes sales, je tourne la tête et regarde ma coéquipière de lavoir, on s’étonne et rigole, ce n’est ni plus ni moins que ma voisine d’aire de bivouac de Besse en Oisans. Nous passerons finalement le début de soirée à prendre l’apéritif près de leur Ford transit, à se raconter nos anecdotes et projets de voyages, parsemés de quelques tranches de vie.

Comme quoi, l’orage et le hasard sont parfois bien faits.