De La Grave au Lac du Goléon
En milieu de matinée, je quitte le camping par le sentier qui mène vers La Grave, avec pour projet de prendre mon petit déjeuner en terrasse avant de décoller pour le lac du Goléon (environs 8km de 1500m à 2500m) . Une fois dans le village, je perds un temps infini pour prendre le dit « petit dèj » que j’avalerai finalement à midi, le seul et unique distributeur de La Grave étant en panne depuis plusieurs jours et les établissements n’acceptant pas tous les paiements par carte en dessous d’une certaine somme…bref! j’aurai gagné un temps fou à terminer mon reste de floraline au camping. J’espère pour les commerçants du coin que la région se bougera enfin un peu les miches pour que ce problème, visiblement récurrent, soit enfin réglé une bonne fois pour toutes.
Le déjeuner terminé, je grimpe les 300m de dénivelé en direction des Terrasses par le GR54 et suis la route bitumée vers Les Hières. A vrai dire, rien d’extraordinaire sur cette section, heureusement une famille arrivée de Paris m’embarque sur les derniers mètres jusqu’au parking du départ.
Ce n’est qu’arrivée sur le sentier que je découvre le chantier en cours, n’ayant pas été prévenue à l’office du tourisme. La construction d’un barrage hydroélectrique a complètement métamorphosé le sentier pour grimper au lac. La piste hyper large des engins de chantier, grimpe en mode tout droit et coupe les boucles du chemin qu’il faut suivre à l’aide des cairns. En bref, c’est le bordel.
Le paysage reste magnifique, mais le sentier a pris un sacré coup dans sa tronche.
Il vaut donc mieux éviter de rester sur la section au centre et serpenter en cherchant les cairns. Je croise quelques personnes, sous un soleil qui cogne doucement mais sûrement. Les deux premiers tiers du sentier ne présentent pas de difficulté particulière, surtout sans sac de rando. La dernière section par contre est plus abrupte. Sur la fin, je commence à fatiguer. Du coup, j’ai pris une décision bien bien nouille comme il faut, en voyant un cairn un peu plus haut. Il y avait, pour y accéder, un genre de sentier qui grimpait tout droit, du genre direct mais efficace. Banco!
Etant au courant que la dernière section grimpait plus que le reste, ça m’a paru logique. Une fois dessus, j’ai bien regretté mon erreur. J’apprendrai plus tard que certaines traces directes sont dues aux aller-retours vers le chantier, oui mais ça c’était plus tard. Sur le coup j’ai copieusement râlé sur les types qui ont rédigé mon guide rando et leur soit disant « randonnée à caractère familial de mon c** ». Accrochée aux cailloux avec le sac de 12 kilos sur le dos je finis par me hisser péniblement en haut sous les allers et venues de l’hélicoptère, qui heureusement n’était pas venu chercher la fille un peu neuneu avec son gros sac, mais ramener le matériel du chantier.
Soit dit en passant je considère quand même que le guide Rother se plante en décrivant la randonnée comme « familiale », pour avoir moi-même croisé pas mal de familles avec enfants (ou même adultes) en pleine galère, car trop jeunes (moins de 10 ans) ou peu habitué aux efforts physiques qu’exige la montagne. L’état du sentier, pour le moment, demande aussi de bien prendre son temps, pour emprunter la route la plus facile qui serpente et s’approche de la chute d’eau une fois en haut, avec en prime un beau point de vue. Disons que pour une famille sportive, avec des enfants d’au moins dix ans, ça ne devrait pas poser de problème, mais en dessous de cet âge, pas sûr qu’ils apprécient la balade et du coup vous non plus. Croyez moi, j’en ai croisé qui étaient franchement mal partis pour passer un bon moment ^^.
Je finis par grimper la dernière langue rocheuse et aperçois enfin le refuge en me disant qu’il est juste impossible que je redescende par cette même voie directe avec le sac le lendemain, à moins de vouloir descendre vraiment très vite.
Une fois près du lac tout va mieux. Il n’y a plus personne, juste moi et mes quelques kilomètres dans les pattes. Le ciel se couvre et donne à l’eau un visage austère, celui d’un lac qui pourrait abriter autant de légendes que l’imagination lui accorde. Une bonne dose de plénitude aux accents sauvages.
Après m’être refroidi la tête, les yeux perdus dans les reflets du lac, je monte vers le refuge pour profiter d’un peu de chaleur et de tarte à la poire maison, ayant déjà bien tapé dans mon capital énergie.
Les gérants sont vraiment sympas et accueillants, tout comme le cadre du chalet lui-même. C’est à ce moment que j’apprends ce qui est arrivé à ce pauvre sentier et déduit mon erreur de parcours sur la fin de celui-ci. Le barrage permettra, entre autres, l’accès à l’électricité pour les gens du refuge. Pour le moment ce sont les lueurs, non sans charme, des bougies et lampes à pétrole qui animent leurs soirées et me rappellent, avec un brin de nostalgie, les soirs d’été passés après une journée de surf, la tête oscillant entre l’assiette de pâtes et la « lampe tempête » de mon grand-père qui parfumait l’air de son pétrole enivrant.
La pause salutaire terminée, je pars monter ma tente un peu plus bas, à mi-chemin entre le lac et le refuge. En pleine opération bivouac, un groupe de copains vient me proposer une bière rafraîchie dans le lac, ça ne se refuse pas. Ils arrivent de Briançon et ont trimbalé leur pack de bière sur le dos depuis le parking du bas, motivation. La fille du groupe a piqué une tête dans le lac, j’avoue que je ne sais pas comment au vu de la température de l’air et de l’eau. Après avoir papoté et m’être bien marrée avec cette troupe surgie de nulle part entre deux cailloux à 2500m d’altitude, ils repartent à la tombée du jour avec leurs bières vides sur le dos, pendant que je rejoins ma tente. Les pâtes au riz et champignons (cuisine hautement gastronomique) mijotent doucement dans le ronflement familier du réchaud.
Après avoir mangé, j’entends des voix. Petit 1, les champignons n’étaient finalement pas des cèpes, petit 2, je ne suis plus la seule à bivouaquer. Un groupe s’est installé au bord du lac, j’embarque mon chocolat à la fleur de sel pour aller saluer mes nouveaux voisins. Ils arrivent de Briançon et Fontainebleau et me proposent de partager avec eux leur bouteille de rosé… La vie est une dure lutte comme dirait l’autre (qui se reconnaîtra). On grimpe donc sur les hauteurs du lac, notre verre à la main, pour immortaliser le mélange improbable de nos têtes coiffées par le vent et du décor qui nous accueille pour la soirée. Après avoir partagé un chouette moment et de bonnes histoires agrémentés de vin et de chocolat, chacun regagne ses pénates, parce que c’est marrant, c’est joli, mais ça pèle. Retrouver ma tente dans la nuit n’a pas été chose facile, mais une fois que j’y suis, je place mes pieds dans ma polaire et enfile quelques couches en plus du sac de couchage, la nuit sera fraîche.
Vers minuit, en demi-sommeil, j’entends le hauban de la tente tonner comme si quelqu’un s’était pris les pieds dedans en plein festival. Il est trop tôt pour que ça soit les premiers grimpeurs, si ça se trouve c’est le vent. Quelques instants plus tard j’entends un miaulement un peu rauque juste à côté de la toile de tente… Et si c’était un Lynx? J’ai envie de me lever, d’aller voir, de tenter une percée héroïque avec ma Gopro en faisant le moins de bruit possible et en allumant la frontale au dernier moment, mais le sommeil lui, implacable, prend le dessus tel une claque à pleine main. De toute façon le Lynx aurait détalé au premier bruit.
Je dors comme une pierre malgré les températures négatives.
Au matin la gelée blanche a recouvert les abords du lac. Je grimpe prendre le petit déjeuner au refuge parmi la bonne humeur des ouvriers qui terminent le leur. Réveillée et réchauffée, je regagne le lac. Le vent se calme par moments et laisse apparaître à la surface de l’eau le reflet presque lisse de la Meije et des sommets alentours. Les linaigrettes duveteuses qui bordent l’eau se balancent sous la brise, pas un bruit… hormis l’inattendu « Ahou, Ahou, Ahou! » des ouvriers sur leur chantier, qui vient rompre le silence, tel un éclat de rire dans un film muet. Le soleil finit par dépasser la montagne et apporter quelques degrés confortables. Une fois les yeux bien remplis et les souvenirs emballés, je quitte le lac peu après mes voisins du jour, non sans un dernier coup d’oeil.
La descente sera finalement bien plus tranquille que dans mon imagination, profitant du soleil, du panorama vers la Meije et des nuages qui sillonnent le ciel. Arrivée au parking, deux copines attendent leurs hommes qui redescendent du Pic du Goléon, et me reconnaissent avec mon sac sur le dos puis me proposent de me redescendre jusqu’au camping une fois leurs grimpeurs respectifs revenus; What else?
Dans la descente, un chevreuil dévale les pentes et traverse la route devant nous. Retour dans la vallée.